vendredi 15 février 2013

A quel âge est-on vieux ?


Et sur France Inter, la Tête au carré du 15 février 2013.
Tout le monde semble avoir accueilli favorablement la renonciation du pape : certains y ont même vu un valeureux acte de courage et de lucidité. A certains égards, c’est vrai, il faut bien le reconnaître …  Mais comment ne pas voir aussi qu’il s’agit d’une nouvelle victoire du jeunisme ! Le métier de pape était un des rares restant où l’on pouvait vieillir sans peur et sans reproche ; où l’on pouvait même être gâteux sans que personne n’y trouve rien à redire. Désormais, c’est fini : à part, peut-être le job de philosophe où, en dépit de la courte parenthèse des nouveaux philosophes, la valeur doit patiemment attendre le nombre des années, il ne reste plus aucun boulot pour le grand âge ; même les vieux dictateurs finissent pas lâcher : voir Fidel Castro !
Plus sérieusement, l’argumentation de Benoît XVI pour justifier son renoncement est aussi intéressante qu’émouvante : s’il a pris la décision de renoncer, ce n’est pas de bonne grâce si je puis dire. Car d’un point de vue théologique, il s’agit d’une forme de rupture, par décision unilatérale, d’un lien quasi conjugal et sacré entre le pape et son Eglise : bref, c’est un divorce. Mais Joseph Ratzinger le reconnaît : le monde va désormais trop vite au regard des responsabilités politiques et géopolitiques qui incombent au chef de l’Eglise, et les conséquences d’une mauvaise décision, d’un mauvais discours ou d’un retard à agir pourraient être incalculables. Bref, le motif de la renonciation est politique et non pas théologique : c’est tout le dilemme de l’Eglise, depuis ses origines romaines, qui est assise le cul entre deux trônes : l’ici-bas et l’au-delà, le terrestre et le céleste. Comment l’Eglise éternelle doit-elle s’occuper d’un temporel de plus en plus pressé.
Ce qui nous ramène à cette question : dans cet univers de l’urgence, à quel âge devient-on vieux ?
Aristote, le maître de Saint Thomas, lui-même inspirateur de Ratzinger, avait à cette question une réponse aussi limpide que simple : le sommet de la vie (bios en grec), qui est comme un arc (bios en grec = jeu de mot !), se situe à 35 ans pour le corps et à 49 ans, environ, pour l’esprit.
            Le choix de ces nombres n’est pas dû au hasard, il est le fruit aussi bien d’une observation empirique (à part Beckham, il y a peu de footballeur de plus de 35 ans) et d’une numérologie physique : les chiffres sont à l’époque des entités physiques porteuses de sens.
            Mais le plus surprenant est que les recherches contemporaines les plus pointues, les plus sophistiquées et les plus récentes viennent donner raison à Aristote, ou presque : elles affirment que le « plus bel âge cérébral » (titre de la revue Sciences et Avenir de mars 2012) se situe plutôt vers 45 ans. C’est ce que montre une étude conduite par Archana Singh-Manoux, directrice de recherche à l’INSERN et publiée en 2012 dans le British Medical Journal (« Timing of onset of cognitive decline : results from Whitehall II prospective cohort study », le 5 janvier 2012). A partir du suivi médical d’une cohorte de plus de 7 000 hommes et femmes, l’étude montre que les tests de performances cognitives (par quoi il faut entendre la mémoire, le raisonnement, la fluidité du vocabulaire) commencent à se dégrader de manière significative à cet âge. Bien sûr, tout le monde n’est pas concerné ou l’est plus ou moins (les femmes d’ailleurs le sont moins), mais le fait est là : l’esprit décline au cours de la quarantaine.
            On aura pourtant quelque réticence à voir là le véritable début de la vieillesse, d’autant qu’aujourd’hui celle-ci est devenue à la fois plus longue et plus confortable sinon pour tous, du moins pour beaucoup. Si Montaigne pouvait se déclarer vieux à 40 ans, si pour Balzac la femme de 30 ans avait sa vie derrière elle, il sera aujourd'hui difficile d'envisager cet âge comme marquant la fin, voir seulement le début de la fin.
            Ni la retraite ni la grand-parentalité ne constituent plus des repères fiables : la retraite est à 60 ans et la grand-parentalité moyenne en France se situe autour de 52 ans. On n’est pas vieux !
            Alors à quel seuil se vouer ? Interrogés par sondage, les Français répondent 75,4 ! Evidemment c’est une moyenne et qui, de plus, ne prend pas en compte ce que bien souvent les personnes interrogées ajoutent, à savoir que « la vieillesse, ce n’est pas une question d’âge » et qu’il existe des jeunes bien vieux (« dans leur tête ») et des vieux dont l’énergie et le charisme font envie.
            La vieillesse apparaît donc plus comme une expérience personnelle — un certain « rapport au monde » —, que comme un seuil administratif. Comment la définir ? Jean Baudrillard avait une belle formule au début de ses Cools Memories : il définissait l’entrée dans la vieillesse, comme le sentiment de vivre le premier jour du reste de sa vie. On cesse alors de grandir pour commencer à s’élargir. C’est d’ailleurs une règle pour l’esprit … comme pour le corps.

1 commentaire:

  1. Si l'homme est confondu avec son existence alors la dégradation de celle-ci, inévitable est la caractère même de la vieillesse. S'il est plus que cela alors c'est une autre histoire... http://hm.coherences.com/BLOG-HM/2013/01/14/056-les-ages-de-fin-de-vie/

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