vendredi 6 juin 2014

Prochaine séance du Collège de Philosophie

14 Juin 2014- Le tragique


- Prochaine séance du Collège de Philosophie - 
Le Samedi 14 juin 2014, Amphi Michelet (14h-17h), 
Sorbonne - entrée 46 rue St Jacques 75005 Paris
Le Tragique : défi pour la philosophie ?
avec
André COMTE-SPONVILLE & Luc FERRY
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Entrée libre dans la limite des places disponibles

mercredi 4 juin 2014

Les idéologies après la fin des idéologies (5/5)

suite …  
L’écologisme et l’indignationnisme

Une fois éliminés ces deux scénarios, qui permettent néanmoins de poser les deux premiers jalons du panorama des idéologies contemporaines, que peut-on encore repérer de neuf ? Je perçois deux phénomènes principaux. Le plus spectaculaire et sans doute le plus durable est la montée en puissance des préoccupations environnementales et écologiques. Avec le recul, on est même frappé de la rapidité avec laquelle ce sujet, de marginal qu’il était dans les agendas publics de la plupart des pays occidentaux et émergents, est passé en tête de l’échelle des soucis et des débats. Nous avons assisté depuis 1989 à une idéologisation croissante de l’écologie[1], mais qui n’atteint pourtant pas le degré de celles du XXe siècle. Même si nombre de déçus du communisme (ou, plus secrètement, du fascisme) ont trouvé là l’espoir et l’occasion d’une reconversion, il faut tenter de comprendre pourquoi cette « idéologisation » ne fonctionne pas à plein régime. Il me semble que cette limite tient au fait que plusieurs strates du phénomène se contrecarrent.
A un premier niveau, on trouve la prise de conscience, totalement absente dans le marxisme, de la finitude de la planète et de ses ressources. Le thème est loin d’être nouveau (on pense au rapport du Club de Rome de 1972, aux thèses de Hans Jonas ou à celles de Jacques Ellul), mais il a acquis une force de conviction générale. D’autant plus puissante d’ailleurs que le constat s’imposait que les populations des pays émergents pourront parvenir assez vite à des conditions de vie équivalentes de celles de l’Occident. Il est clair que la planète n’y suffira pas. Et ce, d’autant moins que la confiance à l’égard de l’innovation scientifique pour repousser, voire résoudre la finitude humaine, se trouve profondément ébranlée. Il est devenu moins évident que la science puisse, comme on le pensait jadis, trouver toujours les solutions aux problèmes qu’elle crée. La promesse d’une amélioration universelle des conditions de vie alimente paradoxalement une vision de plus en plus pessimiste.
D’où l’apparition, à un second niveau, d’une nouvelle peur de l’avenir dont la portée idéologique est indéniable. Car la peur, si je puis dire, a une fonction « rassurante ». C’est ce que disait Freud à propos des phobies : leur multiplication nous permet d’échapper à l’angoisse causée par des conflits psychiques insupportables. L’angoisse, qui ne porte sur rien, ne peut être combattue, tandis que les peurs, qui sont limitées, peuvent être apprivoisées. On préfère, donc, avoir peur de quelque chose, plutôt que d’être angoissé par rien, c’est-à-dire par tout. D’où cette idéologie de la peur si puissante aujourd’hui dans un monde pourtant sécurisé comme jamais. Elle est une idéologie, car elle offre, au fond, tout ce qui manque à nos sociétés désenchantées : elle fait sens (tout s’explique !), elle fait lien (tous ensemble !) et elle fait programme (agissons !). La perspective d’une menace (réchauffement climatique) ou d’une catastrophe (nucléaire) permet donc de mettre du sens dans un monde complexe qui semble ne plus en avoir. Il faut « sauver la planète » !
            Mais cette idéologie — c’est le troisième étage — reste négative. Sa vision catastrophique échoue à dessiner un horizon positif. D’ailleurs, la référence à la Nature qui l’anime est en réalité très ambivalente. Car si nous aspirons à une nature préservée, c’est aussi pour pouvoir en profiter pour les vacances, rapidement, et avec tout le conforme moderne. Et personne (au presque) ne pousserait son éloge vibrant du naturel au refus des bonnes pratiques médicales ou à celui des technologies les plus innovantes. L’idéologisation de l’écologie se trouve donc limitée par une sorte de contradiction entre sa puissance négative (la peur) et sa faiblesse positive (la nature). Ce qui explique que, malgré quelques tentatives épisodiques, elle ne parvienne pas à fonctionner à pleine puissance.

L’écologisme est parfois perçu comme le dernier avatar ou Ersatz des idéologies du XX siècle, mais il ne faudrait pas pour autant, dans le panorama des idéologies d’aujourd’hui, négliger un autre phénomène tout à fait paradoxal que je me suis résolu à qualifier cum grano salis d’« indignationnisme ». Le succès planétaire du titre de Stéphane Hessel[2] est révélateur d’une idéologisation de ce qui apparaissait chez Marx comme l’antidote par excellence de l’idéologie, à savoir la critique. Or la critique tend de plus en plus à devenir une idéologie. Elle en présente les trois traits caractéristiques. Elle offre une puissante explication du monde, puisque tout cache forcément quelque chose, puisqu’il y a toujours des intérêts cachés à dénoncer, des complots ourdis dans l’ombre à révéler. Elle donne un programme d’action simple et lumineux : il faut s’indigner, résister, ensemble contre tout ce que qui ne va pas, et – bien sûr - la liste est longue. Elle est sans doute moins performante sur la troisième dimension du salut, mais comme chacun est persuadé que l’avenir ne sera pas radieux, l’« indignationnisme » retrouve dans l’absence de perspective une forme de perspective.
Ce qui est singulier, c’est que cette indignation structurée par la critique tend à s’immuniser elle-même contre toute espèce de critique, selon le processus que Karl Popper avait parfaitement décrit en parlant des pseudo-sciences. Ainsi, à partir du moment où l’on critique les « puissants » (entité ô combien abstraite), toute critique adressée à cette critique ne peut que relever de la « résistance » (au sens psychanalytique du terme cette fois), c’est-à-dire de la réaction de défense de ces mêmes intérêts dominants. Ainsi, un humoriste qui dépasse les bornes est forcément dans le vrai dès lors qu’il est viré par sa rédaction. Cette réaction confirme a posteriori la justesse du diagnostic. L’indigné recherche d’ailleurs avec avidité les moindres signes de « répression », ce qui n’est (hélas ?) pas toujours aisé à trouver dans l’univers démocratique. « Nous avons besoin de grands complots et de grands salauds  pour que notre vie continue d’avoir un sens et que nous sachions quoi faire : résister ! », voilà ce que pense en substance l’indigné. Ce qui rappelle l’extraordinaire discours de Brissot durant la Révolution française, au moment où doit se décider la guerre contre l’Europe des rois (1791) : « Je l’avouerai, messieurs, je n’ai qu’une crainte, c’est que nous ne soyons pas trahis … Nous avons besoin de grandes trahisons : notre salut est là … Les grandes trahisons ne seront funestes qu’aux traîtres ; elles seront utiles aux peuples »[3]. L’indigné aspire à la simplicité de la guerre dans la complexité désespérante d’un monde pacifié mais dénué de promesses. Il veut retrouver l’ivresse du combat mais sans la gueule de bois qui la suit souvent.

            Néo-libéralisme, fondamentalisme, écologisme, « indignationnisme » : nous aurions-là, sous réserve d’un inventaire plus complet, le panorama des quatre idéologies du temps présent. Ou plutôt, faudrait-il dire plus justement, des quatre tentatives d’idéologie, car aucun de ces quatre courants ne parvient à s’imposer et à aller jusqu’au bout de son processus. Traversés par des contradictions insolubles qui bloquent leur développement, il leur manque aussi l’horizon radieux qui bouclerait l’ensemble. Peut-on le regretter ? Cela me paraît difficile, tout comme il me paraît difficile d’éprouver une quelconque nostalgie à l’égard des fameux débats intellectuels de jadis, à la lumière desquels on entend parfois dénoncer la médiocrité du temps présent. Mais cet échec des idéologies à se reconstituer en bloc tient au bout du compte à une ressource essentielle des démocraties tardives : la puissance de l’auto-critique. Cela même qui entrave, énerve, bloque, mais qui permet aussi d’éviter de prendre des messies pour des lanternes. C’est sans doute avec cette idée que nous percevons le plus clairement que notre époque est celle de la fin des idéologies et que, ce faisant, elle a fait un pas de plus vers une maturité … encore bien lointaine.

Fin



[1] Processus qui fut identifié, pour ce qui est de la France, par Marcel Gauchet, « Sous l’amour de la nature, la haine des hommes » in Le Débat, n° 60, août 1990 et par Luc Ferry, Le nouvel ordre écologique, Grasset, 2012.
[2] Indignez-vous ! Indigène éditions, 2010.
[3] Discours du 30 décembre 1791 aux Jacobins, cité par F. Furet, Penser la Révolution française, Gallimard « Folio histoire », p. 110. La réponse de Robespierre est tout aussi grandiose dans la surenchère paranoïaque.

dimanche 1 juin 2014

Cours « Où est le mal ? » à l'Université Sorbonne Inter-âges

Où EST LE MAL ?
6 séances du 23/06/2014 au 11/07/1014

1) Dans la boite de Pandore (Hésiode) ?
2) Dans l’ignorance ou dans la volonté (Platon, Aristote) ?
3) Dans les ruses du diable (théologie) ?

4) Nulle part (La théodicée de Leibniz)
5) Dans un mauvais usage de la liberté (Rousseau)

6) Dans la banalité des personnes (Arendt)

Voir l'inscription et les dates sur le site Sorbonne

Les idéologies après la fin des idéologies (4/5)

(suite …)


Deux scénarios erronés : mort de l’idéologie et retour du religieux

            Ce rappel était indispensable pour tenter de mieux cerner la question. Nous savons à peu près d’où nous sommes sortis, mais comment comprendre ce dans quoi nous entrons ? Autrement dit, puisque les Idéologies (du XXe siècle) sont mortes, quelles seront les formes idéologiques du futur ? Pour tenter de répondre à cette question difficile, il me semble qu’il faut d’abord résister à la tentation de deux scénarios fort séduisants, mais je crois erronés.
            Le premier consiste à croire qu’on aurait, après 1989, « jeté le bébé avec l’eau du bain ». Autrement dit que toute forme d’idéologie serait morte avec la fin des Idéologies (communisme, fascisme). Notre époque, définitivement vaccinée contre les « grands récits » se serait, après les tragédies du XXe siècle, convertie au réalisme, à l’intérêt bien entendu et, surtout, à la recherche exclusive du bien-être. La preuve ? La rapidité du basculement de l’Est communiste dans un Ouest néo-libéral et l’aspiration unanime des pays émergeants à la prospérité. Il y a une puissante illusion dans ce diagnostic que l’on peut identifier grosso modo aux versions les moins élaborées du néo-libéralisme, pour au moins deux raisons. D’abord, l’idée de fin des idéologies prise en ce sens (qui – j’y insiste — n’a rien à voir avec les auteurs cités précédemment) relève clairement d’une lecture idéologique, puisqu’elle prétend elle aussi expliquer le monde (par l’économie), construire un programme (laisser-faire) et fournir un sens (l’harmonisation mécanique des intérêts individuels, soit : la main invisible). Ensuite parce que — ironie de l’histoire — elle constitue une revanche posthume du sens marxiste, dont elle représente une sorte de validation a posteriori. Certes l’homme néo-libéral, comme l’homme marxiste, est animé par le seul souci économique, mais il prétend naïvement posséder la pleine conscience des intérêts qui l’animent. L’idéologie néo-libérale de la fin des idéologies est ainsi particulièrement vulnérable à la critique et au soupçon marxistes. Mais elle comporte d’autres inconvénients qui l’empêchent d’accéder à la puissance du communisme et, quoi qu’on dise, au statut d’idéologie dominante. Elle n’a d’abord aucune dimension messianique. Sa promesse de bonheur universel (prospérité) ne cesse d’être démentie par les faits têtus de la pauvreté et des inégalités qui, quels que soient les succès (réels) de l’économie de marché en la matière, ne seront jamais abolis. Par ailleurs, parce qu’elle est individualiste, elle n’offre pas de programme collectif et, parce qu’elle est fataliste sur la condition humaine, elle n’invite pas l’individu à se changer (à se convertir) du tout au tout. Bref, simple parure de l’égoïsme particulier, il lui manque les ressorts indispensables qui lui permettraient d’offrir la perspective un nouveau grand dessein, dont, au contraire, elle alimente la nostalgie … à mon sens quelque peu naïve.
Il y a un second scénario qui constitue un obstacle à l’appréhension de la reconfiguration idéologique de notre temps, c’est celui du « retour du religieux ». Sous sa forme la plus simple, il consiste à penser qu’après la fin des idéologies (en tant que religions de salut terrestre), le temps serait à nouveau venu des religions de salut céleste. Retour à un statu quo ante, en quelque sorte, dont le diagnostic est alimenté à la fois par les différentes montées en puissance des fondamentalismes religieux (notamment en terre d’Islam) et, plus généralement, par le retour en grâce du spirituel. La principale objection qu’on peut faire à cette lecture tient au fait qu’il est toujours délicat en histoire de parler de « retour en arrière ». En l’occurrence, le religieux qui est censé revenir n’a à peu près rien à voir avec le religieux d’avant le désenchantement du monde. C’est ce qu’ont montré pour l’Islam les interprètes à mon sens les plus pertinents ; je pense, entre autres, à Olivier Roy et Gilles Kepel[1]. L’islamisme radical, disent-ils, combat en réalité à double front. Il s’oppose à la fois à la religion traditionnelle qu’il juge conservatrice et inadaptée et à la démocratie occidentale qu’il trouve destructrice et impie. Il n’est donc à l’aise ni dans la tradition ni dans la modernité, mais promeut, à l’instar des fascismes des années 30, une posture « révolutionnaire-conservatrice ». Il ne s’agit donc pas d’un retour du religieux, mais au contraire d’une tentative — très problématique dans sa cohérence même — d’ « idéologisation de la religion ». Alors que le bolchévisme cherchait à transformer l’idéologie en religion, le fondamentalisme tente de métamorphoser la religion en idéologie. Et là encore l’image du dopage semble pertinente, parce qu’il s’agit de gonfler quelques certitudes assez frustes en clés de lecture, programme et horizon incontestables. Analysé avec distance, le phénomène apparaît comme le symptôme pathologique d’une douloureuse transition des sociétés traditionnelles vers la modernité. Ce qu’il ne faut pas confondre avec le retour en grâce des questions spirituelles dans les sociétés modernes qui correspond au refus démocratique d’une existence focalisée sur la seule dimension économique.


… à suivre


[1] Cf. notamment, Olivier Roy, La sainte ignorance : le temps de la religion sans culture, Seuil, 2008 ; Gilles Kepel, La revanche de Dieu, Seuil, 2003.

Pourquoi fait-on des enfants ?

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