Ce chapitre (3) a pour objet de montrer que le capital a
une histoire et que sa répartition comme ses mécanismes sont intimement liés au
contexte historique. L’évolution générale que dévoile Piketty peut être résumée
d’une manière simple. Que ce soit en France ou au Royaume-Unis (pays sont les
sources sont les plus étendues et fiables), le capitalisme de rentier (où la
part du patrimoine sur le revenu du travail est largement prépondérante) s’effondre totalement et
brusquement après la Première Guerre mondiale. Durant une période qui va jusque
dans les années 50, le capital national ne vaut plus que deux ou trois années
de revenu national. Mais à partir des années 50, le rapport capital/revenu n’a
cessé d’augmenter pour atteindre au début des années 2010 environ 5 ou 6 années
de revenu national.
« Le siècle écoulé se caractérise par une spectaculaire
courbe en U. Le rapport capital/revenu a été divisé par près de trois au cours
de la période 1914-1945, avant d’être multiplié par plus de deux sur la période
1945-2012 » (p. 189).
Encore faut-il, pour bien saisir le sens de ce processus,
regarder la composition de ce capital. En 1914, le capital de la France et du
Royaume-Uni était essentiellement terrien, il est devenu, à la faveur de cette
évolution, d’abord immobilier, industriel et financier. Par ailleurs, le
capital s’est « décolonisé » : les énormes placements étrangers des
puissances anglaises et françaises vont totalement disparaître au cours de la
période 1914 – 1929 – 1939. Mais cette évolution comporte aussi une stabilité
impressionnante quant à la répartition entre le capital public et le capital
privé. Pour le dire d’un mot : la richesse d’un pays tient à son capital
privé : « Les patrimoines privés constituent au début des années 2010 la
quasi totalité du patrimoine national dans les deux pays : plus de 99% au
RU et environ 95% en France … [et l’on] constate qu’il en a presque
toujours été ainsi » (p. 202). Expérience de pensée : si l’on vendait tous
les biens publics pour rembourser la dette, … il ne resterait rien (au RU)
ou pas grand chose (en France) !
Mais il ne faut pourtant pas négliger les relations entre
les deux formes de patrimoine public et privé. Ainsi, au XIXe sicle, la dette
publique fut un puissant moyen d’enrichissement pour les détenteurs de
patrimoine. Ceux-ci, en prêtant à l’Etat pour un taux très favorable (5%),
disposaient, grâce aux intérêts, d’une rente juteuse et sûre. Cela a totalement
changé dans la période creuse du « U » : dans un contexte d’inflation (au
XXe siècle), l’endettement public est apparu au contraire comme un instrument
de redistribution en faveur des plus modestes ; la dette, noyée dans l’inflation,
permet de financer les déficits par eux qui ont prêter leur patrimoine à l’Etat,
sans avoir à augmenter les impôts.
Du côté des actifs publics, après une ample accumulation à
la suite de la crise de 29, la plupart des pays développés a entrepris de
privatiser dans les années 1980-1990. Bref, aujourd’hui le patrimoine public
net retombe à des niveaux très bas, tandis que les patrimoines privés
retrouvent peu à peu leurs niveaux d’avant les chocs du XXe siècle.
« C’est ainsi que [la France], sans avoir vraiment
pourquoi, a totalement transformé à deux reprises, et dans des directions
opposées, la structure de son patrimoine national au cours du siècle écoulé »
(p. 222).
… à suivre
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