Après
le 7 janvier, on aspirait à l’unité : ce fut le 11 janvier — un
symbole.
Après
le 13 novembre, il faut réfléchir à l’efficacité, avec lucidité et sang froid.
Que
faire donc ?
Trois
choses pour l’essentiel
1)
Première chose : la sécurité ! On parle de guerre ; et sans
doute, en effet, une guerre nous a été déclarée et nous menons des actions de guerre. Mais sommes-nous pour autant en guerre ? Au sens rigoureux une guerre suppose de
mobiliser toutes les forces vives de la nation : humaines, matérielles et
spirituelles. Or nous n’en sommes pas là. C’est d’ailleurs tout le
problème actuel : comment parvenir à dramatiser durablement l’événement
alors même que nous allons continuer à vivre comme tous les jours ?
… Avant que, à nouveau, dans une semaine, trois semaines, trois mois … le
terrorisme frappe une nouvelle fois. Entre la tendance naturelle à la quiétude qui est
le propre des sociétés démocratiques et la présence de cette menace grave, mais
ponctuelle : comment trancher ? Et surtout comment faire durer le sentiment
de cette menace alors même que tout reprendra comme avant : nos petites
querelles, nos petits soucis, notre insouciance … ? Qui nous mettent à la merci de nos ennemis.
Il y
a tout de même un point sur lequel on peut agir et, en un sens, changer :
alors qu’on demande aux forces de l’ordre d’assurer toujours davantage notre
protection ; on n’entend pas assez parler sur les devoirs des citoyens
de s’en charger aussi. Il faut donc que notre société civile s’éduque à la
protection civile, qu’elle participe à sa propre sécurité : le bon
réflexe, l’alerte juste, le sang froid, le sens civique, l’attention aux autres
dans le quotidien, le souci des biens communs
… Que de choses à réapprendre qui ont été délaissées ! Israël nous donne l’exemple
d’une démocratie sous menace qui se défend sans se renier. Et à ceux que cette phrase choquerait, je dis : laissons-là toute polémique pro et contra Israël pour ne tirer que
ses leçons pratiques sur ce point. Et sachons distinguer vigilance et
paranoïa ; signalement et délation ; défiance et hystérie. Les
premiers sont aujourd’hui devenus
indispensables ; le secondes pourront être neutralisées si nous nous
souvenons que l’histoire peut être tragique. Nous l’avions tellement oublié que
nous semblons là tout à fait démunis.
2)
Deuxième chose : le débat ! Il va revenir, il est déjà revenu, car
notre démocratie est bavarde (par essence) et chacun veut placer son (bon) mot,
comme je le fais moi-même en ce moment. Il y aura — et il y a déjà
— des excommunions, des anathèmes, des prophéties dans notre espace public
pourtant réputé laïc … Chacun trouve dans le point de vue adverse des bons motifs
d’indignation, d’exclusion, et de renforcement de soi et de son clan. Depuis les contempteurs de l’amalgame et de la stigmatisation jusqu'aux antimusulmans affichés,
il y a tout une gamme plus ou moins cohérente de positions. Soyons plus zen à
l’égard de ces débats, mais ne cherchons pas à les empêcher. L’unité nationale
ne saurait exister dans le débat public sauf si celui-ci s’arrête. Il faut juste
veiller à ce que la ligne rouge du « défaitisme » ne soit pas franchie : non la France n’est pas coupable des malheurs qui lui arrivent. Non les attentats ne
sont pas la simple conséquence d’une intégration qui a échoué, de
l’impérialisme colonial, du défaut de multiculturalisme. Non la France n'est pas son pire ennemi ! Il va falloir que la
France s’aime un peu, si elle veut se défendre. Il va aussi falloir qu’elle sache qui
elle est. Comme le dit l’adage : « La dictature, c’est ferme ta
gueule ; la démocratie, c’est cause toujours ». C’est très bien de causer
toujours, mais veillons juste que ces causeries n’entravent pas l’action ;
ni ne donnent l’illusion d’agir …
3)
Troisième point : l’international. A l’évidence, Daech ne peut pas gagner,
car c’est un monstre ; non pas seulement au sens moral, mais au sens
biologique et idéologique. Il s’agit d’un mélange — non viable — de
cette hypermodernité (celle du marketing, du business, des techniques de com, de l’individualisme… ) qu’il ne cesse de dénoncer par ailleurs et
d’une religion traditionnelle dont il détruit tous les principes et tous les
éléments. Comme tout système totalitaire, Daech est une idéologie qui mêle les
pires aspects de la modernité et de
la tradition. Mais si son effondrement est inéluctable, l’histoire nous apprend
aussi que sa durée de vie et sa capacité de nuisance peuvent être grandes et
terribles. D’où la nécessité de trouver des alliés sur le long terme pour lutter durablement. Ce ne
devrait pas être trop difficile puisque je ne vois aucun Etat qui soutienne
Daech et même aucun Etat qui ne soit pas son ennemi. L’infléchissement de
nos alliances est plus qu'une nécessité, c'est une évidence : la Russie et même l’Iran doivent être nos coalisés.
Bien sûr, nous devons le faire avec prudence et sans naïveté. Pour la Russie,
en dépit de quelques réserves qui relèvent seulement de divergences d’intérêts
géopolitiques, mais certainement pas de considérations morales, cela aurait dû
être fait depuis longtemps : car c'est un acteur pleinement rationnel, doté d'une vision géopolitique limpide. Pour l’Iran, c’est sans doute plus complexe, mais
tout aussi nécessaire.
Voilà
donc ce que nous avons à faire : 1) intégrer le risque terroriste dans notre
vie quotidienne ; 2) débattre sans nous affaiblir ; 3) renouer avec une
vision non moralisatrice des relations internationales, car, en ce domaine la morale est
un luxe qui n’est permis qu’en temps de paix.
Merci pour ce bel éclairage.
RépondreSupprimerIl me semble qu’on pourrait préciser encore votre analyse en scindant votre quatrième paragraphe en deux (quitte à renoncer à la beauté de la forme triptyque). En effet, le combat idéologique international, dont vous ne doutez pas qu’il sera perdu, tôt ou tard, par Daech, me semble néanmoins indispensable à mener, et cet aspect mérite à mon sens d’être traité séparément de celui de l’action militaire et de la question des alliances.
Je m’interroge, en particulier, sur le rôle des intellectuels du monde entier dans cette lutte idéologique où la maîtrise des nouvelles technologies de l’information joue un rôle que nous ne pouvons pas nous permettre d’ignorer. Ce point serait pour moi le pendant de votre paragraphe sur le débat en France, au même titre que l’action militaire internationale est le pendant de l’action sécuritaire en France.
Très juste : une suite va donc arriver …
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