samedi 17 septembre 2016

Anthropocène : on ne manque pas d’ère !



Je trouve enfin une tribune claire (Le Monde, du 14/09/2016) sur cette notion d’anthopocène qui a été popularisé en 1995 par le prix Nobel de Chimie Paul Crutzen et qui fait l’objet d’une intense utilisation désormais dans les sciences … humaines. L’idée serait d’identifier un nouvel âge géologique marqué par une action décisive et manipulatrice de l’homme sur son environnement et sur la structure planétaire elle-même.

Pour ceux qui ne le sauraient pas (ou l’auraient oublié), je rappelle que nous sommes actuellement (avant l’invention du terme d’anthropocène) dans l’Eon Phanérozoïque (= « vie visible » ; depuis environ 1 milliard d’années), dans l’ère Cénozoïque (= « vie récente » ; depuis 70 millions d’années), dans la période (ou système) Quaternaire (depuis 3 millions d’années) et dans l’époque (ou série) holocène (depuis hier soir très tard : 10 000 ans). Eon, ère, système, étage désignent les grandes subdivisions de cette genèse de notre planète.

 Patrick de Wever (Museum) et Stanley Finlay (Long Beach), nous rappellent que pour être décrétée géologique une « étape » (utilisons ce terme neutre) de l’histoire de la terre doit être significative à l’aune de cette histoire : l’ère géologique la plus courte atteint 65 millions d’années ! Mais elle doit aussi respecter des critères précis — géologiques, biostratigraphiques (c’est-à-dire repérer de fortes et durables modifications dans la faune fossilisée), physico-chimiques — qui doivent être à la fois globaux et synchrones.
Le concept d’anthropocène ne correspond en rien à ces critères rigoureux et son usage témoigne au mieux d’une confusion des genres au pire d’une stratégie marketing. Car, en a-t-on besoin pour prendre conscience que l’homme agit sur son environnement ; qu’il agit de plus en plus et qu’il le menace gravement au point de mettre en question sa propre survie ?

Si la pensée écologiste continue d’utiliser des gadgets de ce type au nom de sa « juste cause », elle finira par polluer son propre environnement intellectuel de manière irréversible. J’ajoute qu’à mes yeux l’usage d’antropocène est caractéristique de la démesure prométhéenne que ses inventeurs entendent par ailleurs dénoncer : l’oubli que le temps humain n’a rien à voir avec le temps géologique. Et que, même pollueuse, réchauffeuse, voire parasite, l’humanité est bien peu de chose dans l’univers … 

3 commentaires:

  1. Tiens ... Comment se fait-il que vous qui êtes si favorable à l'interdisciplinarité, vous vous offusquiez à ce point de cette irruption qu'un néologisme d'allure géologique dans les sciences humaines et la politique ?
    Certes, d'un strict point de vue géologique, l'anthropocène n'a pas vocation à désigner une ère, pour les raisons précisées dans l'article du Monde, que vous résumez très bien.
    Cependant, le néologisme lui-même me semble parfaitement bien choisi pour désigner cette réalité : "l'action décisive [pourquoi ajouter "manipulatrice" ?] de l'homme sur son environnement et sur la structure planétaire elle-même".
    L'extrême rapidité, au regard des temps géologiques, des changements produits par cette action, est à la fois ce qui rend ce terme inutile/inapproprié dans le strict contexte de la communauté des géologues, et ce qui fait sa force et sa pertinence dans le champ interdisciplinaire des sciences humaines.
    L'humanité est bien peu de chose dans l'univers ? Voire ...

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  2. L'interdisciplinarité n'est pas la confusion des genres : il faut vraiment être attentif aux différences d'échelle. De la même manière que l'on confond constamment météo et climat en matière de changement climatique. Par ailleurs, je ne vois vraiment pas la valeur ajoutée de cette expression : qu'est-ce qu'elle nous fait comprendre de plus ? Quelle est sa valeur ajoutée ? Vous la voyez vous ?

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  3. Il ne s'agit pas de confondre les genres. Il s'agit d'emprunter à un domaine scientifique une construction terminologique évocatrice, pour exprimer/rappeler de manière concise une réalité qui doit être appréhendée non seulement par les spécialistes de toutes les disciplines, mais aussi par le public en général.
    Je trouve à ce néologisme un côté pratique qui tient à sa concision et à sa faculté d'être compris intuitivement par le plus grand nombre. Sa construction est homogène (les deux composantes sont grecques) et logique, et on saisit tout de suite le sens de "période récente/actuelle, où le sort de la planète terre est devenu intimement lié à l'action de l'espèce humaine".
    En tant que néologisme, je le trouve notamment beaucoup plus heureux que le terme "infobésité", qui suggère que nous serions alourdis par trop d'information, alors qu'il est censé évoquer une information "mal digérée". L'obésité n'est pas un défaut de digestion, et je trouve un peu ... léger (!) de flirter avec le délicat domaine des troubles alimentaires individuels pour construire le vocabulaire désignant les malaises de la société.
    Pardon pour cette digression, mais je voulais juste faire ressortir par contraste l'"innocuité" du mot "anthropocène", qui me parait pouvoir servir à rappeler le contexte brièvement, de manière euphonique et évocatrice, sans avoir à faire un long exposé avec des chiffres et des courbes, qu'on n'a pas toujours sous la main, et que beaucoup de personnes concernées par le sujet ont déjà vus cent fois.

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