lundi 24 avril 2017

Premières vues sur le Premier Tour

A l’issue du premier tour de l’élection présidentielle, qui marque un véritable bouleversement dans l’histoire de la Ve République, je voudrais tenter un premier bilan.

1) L’extraordinaire performance de Macron : Il faut d’abord noter l’extraordinaire performance — et je pèse mes mots — qu’a constitué la campagne d’E. Macron : d’abord arriver en tête du premier tour devant le Front National ; mais ensuite et surtout réussir en exactement un an (la « Marche » commence le 6 avril 2016) à structurer un mouvement, organisé d’une manière tout à fait originale. Le mouvement revendique, en octobre 2016,  88 000 adhérants/sympathisants, soit un chiffre équivalent à celui revendiqué par le Parti Socialiste français.

Reprenant et perfectionnant un modèle d’organisation déjà expérimenté (Désirs d’Avenir de Ségolène Royale, Campagnes d’Obama de 2008 et 2012), En Marche! propose à chaque adhérant (qui peut rester membre d’un autre parti) de rejoindre ou créer librement et gratuitement un comité local, sorte de franchise. Chacun des comités est animé par un ou plusieurs adhérents (nommés référants ou animateurs) qui en organisent la vie en proposant des événements locaux, des rencontres et des débats autour des idées et des valeurs portées par le mouvement. En décembre 2016, il en existait plus de 2 600. Ce qui ressort des témoignages des militants est leur souhait de sortir des clivages idéologiques stériles et convenus pour envisager, de manière pragmatique, une action efficace.

A présent, deux énormes défis attendent le mouvement, et ils sont politiques. Le premier est de réunir une majorité parlementaire aux élections législatives, qui lui permettra — second défi – de gouverner. « On fait campagne en vers, mais on gouverne en prose », disait très justement Mario Cuomo, le gouverneur démocrate de l’Etat de New York. Porté par l’énergie de l’esprit pionnier, « En Marche ! » saura-t-il calmer son enthousiasme pour négocier et agir, et surtout faire face à l’adversité des pensées et des faits.

2) La part considérable de la protestation

            Car, et c’est le deuxième enseignement, la réussite d’Emmanuel Macron ne doit pas cacher le fait qu’elle est minoritaire dans l’espace politique français et souffre de ce fait d’un grave déficit de légitimité. Pour en prendre conscience, il faut rappeler les ordres de grandeur bruts des résultats du premier tour.

Il y a, en France, 47 millions d’électeurs

- Les 24 % d’E. Macron en représentent 8,6 millions
- Les 21,3 % de M. Le Pen = 7,6 millions
-  Les 20 % de F. Fillon = 7,2 millions
- Les 19,6 % de J. L. Mélenchon = 7 millions.
- Et les autres candidats = 5 millions (2,2 pour Hamon  + 1,6 pour NDA …).

L’abstention (avec blancs et nuls) représente 11 millions, parmi lesquels on peut compter les PRAF (ces partisans du « Plus rien à faire ; Plus rien à foutre » décrits par B. Teinturier).

Cette répartition montre donc l’existence de 5 « partis » (et non pas 4) aux alentours +/- des 20% 
            1) Abstention
            2) Centre gauche
            3) Droite radicale
            4) Droite conservatrice
            5) Gauche radicale

Ce qui fait que le gagnant — celui qui parvient à sortir un peu de ses 20% — n’aura qu’une très faible légitimité, sauf à rassembler au-delà de sa base ; et même s’il parvient à réunir pour lui l’un des 5 autres camps, il débutera son mandat avec 60% d’opinions défavorables et au moins 40% d'opinions hostiles.

Paradoxe et défi : Macron, même s’il est élu président avec + de 60% des voix ; aura, contre lui, 60% des électeurs. C’est une réalité à prendre en considération dans la stratégie à venir.

3) L’échec des primaires et l’explosion des partis -

            Troisième enseignement : l’échec des primaires, signe de la déliquescence des partis, comme machines idéologico-électorales. C’est un changement majeur, dont il faudra examiner attentivement les effets et les modalités, car rien n’est encore très clair. Les systèmes représentatifs sont historiquement passés par trois étapes : 1) le système des notables, 2) le système des partis de masse et 3) le système de la démocratie d’opinion qui arrive aujourd’hui à maturité.
           Les primaires apparaissaient comme le moyen de concilier démocratie des partis et démocratie d’opinion . C’est un terrible échec, car les primaires loin de sauver les partis ont achevé de les détruire.
            A droite, la primaire a usé deux candidats hyperfavoris successifs d’une élection réputée imperdable. En les surexposant médiatiquement de manière trop précoce (ce qui les rendait vulnérable aux attaques) et en les obligeant à parler d’abord et avant tout à leurs camps devant la totalité des électeurs du pays, cette procédure leur a interdit d’être audible dans la véritable phase de la campagne électorale. Elle a aussi mis en scène des lignes de front internes qui ne pouvaient plus être effacées. Bref, au lieu d’unir, elle a divisé ; au lieu de renforcer, elle a affaibli.
            A gauche, la primaire a fait office de révélateur : elle a montré un parti autiste, traversé par des débats et des rapports de forces d’appareil totalement étrangers aux préoccupations des Français. La sanction a été terrible et sans appel : 6,3%. B. Hamon réunit le même nombre d’électeurs au premier tour de la présidentielle qu’à la primaire de la gauche.

           Mais à la décharge de ces partis : il n’y avait rien d’autre à faire que de les organiser … Les primaires ont été l’instrument nécessaire avec lequel ils ont organisé leur propre déliquescence.
            Le seul parti traditionnel qui reste en état de fonctionnement est le Front National, parce qu’il est structuré, comme « En Marche ! » et comme « La France insoumise », autour d’une personnalité charismatique, ce qui manquait paradoxalement aux appareils (en un sens plus « démocratiques » que les nouvelles organisations - mais ils n'avaient gardé de la démocratie que l'impuissance sans la force de l'incarnation).
            Mais « En Marche ! », tout comme « La France insoumise », ont testé avec succès un nouveau type de machine électorale. Plus agiles, plus innovants, moins militaires et moins pyramidaux dans leur fonctionnement (malgré un chef incontesté), ces mouvements ont su capter les aspirations de la démocratie d’opinion.


La grande question, à présent, est de savoir comment de telles start-up électorales vont se transformer en entreprises de gouvernement (ou d’opposition constructive pour J-L. Mélenchon) en régime présidentiel et parlementaire.

C’est le point sur lequel il va falloir être particulièrement attentif dans les semaines qui viennent.
• Un regard optimiste pariera sur l’effet d’entraînement et de reconfiguration porté par une dynamique forte et par l’intérêt bien compris : après une élection, il faut donner au vainqueur les moyens de gouverner. Et l'opposition, malgré sa déception, accepte de jouer le jeu institutionnel.

• Un regard plus inquiet émettra quelques doutes sur cette reconfiguration, car le renouveau cesse toujours, à un moment ou à un autre, d’être nouveau ; et cela, à notre époque, arrive de plus en plus vite … Par ailleurs, la force idéologique du discours contestataire - réuni en une sorte d'association « inamicale », est toujours à craindre.

Nous avons eu en 2007, « la Rupture » ; puis en 2012, « Le changement, c’est maintenant » ; en 2016, E. Macron fait paraître un livre intitulé « Révolution » pour laquelle nous serions « En marche »

Bien sûr, ce sont là des slogans nécessaires d’une campagne « en vers », mais il faut rappeler les règles de la « prose » : la nouveauté n’est pas, en soi, un programme et le « bougisme » ne fait pas, à lui seul, une politique.


Je suis donc plutôt raisonnablement inquiet … 

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