L’espace
public ouvert et pluraliste était la force des démocraties ; il est devenu
une de ses faiblesses. Son ouverture et son pluralisme — qui atteignent
aujourd’hui un degré inédit — sont utilisés et manipulés par les
adversaires de la démocratie :
• à l’intérieur,
l’espace public sert de vitrine aux adversaires de la laïcité et aux
ennemis de l’ordre public ; à cette petite minorité qui considère qu’il y a des
lois plus hautes que celles de la République : les lois de la Nature (Ecologisme
radical), les lois d’une Liberté sans entrave (Anarchisme extrême), les lois de
Dieu (Fondamentalismes en tout genre), … Avec un sens aigu du marketing, ces
groupuscules saturent et épuisent l’espace public.
• à l’extérieur,
l’espace public est utilisé par tous ceux qui entendent mener une guerre de déstabilisation
massive, notamment quelques puissances étrangères, qu'elles soient politiques ou économiques. Je recommande à
ce propos la lecture édifiante du livre de Pierre Gastineau et Philippe Vasset,
Armes de déstabilisation massive, Enquête sur le business des fuites de
données (Fayard) qui permet de sortir de l’état d’hébétude où nous a plongé
l’idéologie de la transparence et l’admiration naïve à l’égard des « lanceurs d’alerte
». En le lisant, on perçoit que l’espace
public est devenu le théâtre d’une cyberguerre en vue de « l’hégémonie
culturelle » (pour parler comme Gramsci, dont l'analyse continue de convaincre la Russie post-soviétique).
Tout l’enjeu
pour les démocraties libérales sera de se défendre contre ces adversaires ou
ces ennemis sans perdre son âme, c’est-à-dire sans renier l’esprit de liberté
et de publicité.
L’avènement d’internet
avait laissé espérer une sorte d’accomplissement ultime de la démocratie :
elle allait enfin pouvoir renouer, grâce aux nouvelles technologies, avec la
pratique de la démocratie directe. Tous les citoyens auraient enfin droit au
chapitre, tous pourraient faire entendre leur voix, tous pourraient participer
à la décision ! Raison pour laquelle, il ne fallait aucune régulation de l’internet,
espace magique de liberté enfin horizontale.
2017 est la
première année du désenchantement politique d’internet : les Leaks n’apparaissent plus si
désintéressées ; les trolls du
web ne sont plus de joyeux drilles ; les fake news ne relèvent plus du simple folklore ; les
hacktivistes n’ont plus le masque sympa de gentils libertaires.
Désormais
la prise de conscience est là : les manipulations à grande échelle font
basculer une élection (Etats-Unis, Malte, …) ; des officines opaques tirent
un profit juteux de l’idéologie de la transparence ; les commanditaires de
ces fuites jouent un jeu complexe à plusieurs bandes ; les journaux bien
établis, qui relaient ces mêmes fuites, enquêtent en détail sur tout … sauf
sur les motivations de ceux qui les leur ont fournies (cela
risquerait peut-être de tarir leur source …).
Face à cette
menace grave, qu’il a analysé avec beaucoup de pertinence lors de ses vœux à la
presse, le président Macron annonce une loi. Réponse bien française, qui a
suscité, parmi les éditorialistes, de nombreux doutes à la fois sur son efficacité
et sur sa faisabilité.
Efficacité :
que pourra une loi française contre un phénomène mondial qui se joue hors de
nos frontières, mais aussi, pour une bonne part, au cœur du Darkweb, et dont la
puissance de diffusion échappe à tout contrôle … ? Hormis une accélération
des procédures (référé) et la menace de poursuites futures … pas grand chose !
Faisabilité :
comment établir la différence entre une entreprise délibérée de déstabilisation
et une information simplement erronée ? Le critère est délicat à formuler
avec précision, d’autant que la politique, en démocratie tout au moins, n’est
pas habilitée à décréter le Vrai (ni à la déterminer par un vote majoritaire).
Compte tenu
des propos de notre Président sur l’analyse du phénomène, je doute qu’il n’ait
pas conscience lui-même du caractère très insuffisant d’une loi de la
République pour résoudre le problème. Comme paraîtra très insuffisante la
solution alternative souvent proposée par quelques-uns des mêmes éditiorialistes : « l’éducation
». Ah ! L'école ; toujours l’école comme solution miracle de tous les problèmes du monde
… ! Bon, mais en attendant sa refondation : que faire ?
Il me semble
que le seul critère valable ne doit pas être : telle nouvelle est-elle
vraie ou fausse (cela relève de la science), mais telle nouvelle nuit-elle ou
non à l’intérêt national (voilà qui relève de la politique) ? Et si elle
nuit à l’intérêt national, — ce dont nos représentants sont juges :
nous les avons élus pour cela [et si
nous n’avons pas confiance : ce n’est pas la peine de vivre en démocratie] —
elle doit être combattue avec la plus grande fermeté. Par la loi, si c’est
possible et suffisant ; par d’autres moyens, si c’est nécessaire. Et ces
moyens relèvent des services de renseignement, du contre-espionnage et de tout ce
qui touche à la guerre cybernétique. Voilà ce qui doit être renforcé
massivement, plutôt que l’arsenal législatif.
C’est ainsi — en
tout cas — que j'ai envie de (et espère) comprendre l’annonce du Président : pour les
Français, on les alerte sur le problème, donc : une Loi ! Pour
les manipulateurs du Web, on leur dit : « fini l’impunité ; fini le
laxisme ! » ; mais cela se passera dans l’ombre et nous n’en saurons rien. Vive la Loi pour défendre l'idéal de Publicité ; et Vive les services secrets pour lutter contre l’idéologie de la transparence …
A suivre …